« Only the sound remains » de SAARIAHO

SORTIE A L’OPERA GARNIER des élèves de Terminale Option facultative Histoire des Arts (HDA) : Only the sound remains de SAARIAHO

Par L. EGGERS et J.B. LAURENT élèves en TS2

Mardi 23 janvier 2018, les élèves de l’Option Histoire des Arts ont assisté au Palais Garnier à la Première française de Only the sound remains, dernier opéra de la compositrice finlandaise Kaija SAARIAHO.

Cet opéra en langue anglaise a été créé d’après deux pièces du théâtre Nô japonais
. Le Nô est un des styles de théâtre japonais traditionnel, il allie des chroniques en vers à des pantomimes dansées. Les acteurs jouent en portant des masques spécifiques des drames lyriques des XIVème et XVème siècles au jeu dépouillé et codifié. Les représentations étaient essentiellement données pour les shoguns et les samouraïs. La gestuelle est stylisée et la parole semble chantée. Les deux pièces dont s’inspire cet opéra sont Tsunemasa et Hagoromo, la première raconte l’histoire du prêtre Gyokei qui prie pour un guerrier mort, Tsunemasa, dont l’esprit apparaît, puis seul le son de sa voix demeure, racontant sa nostalgie de la vie terrestre. La seconde pièce raconte l’histoire du pêcheur Hakuryo qui a trouvé un manteau de plumes appartenant à un esprit lunaire qui ne peut pas repartir sans, Hakuryo demande une danse à l’esprit en échange du manteau, et l’esprit s’exécute avant de disparaître.

« Only the sound remains » de SAARIAHO, Opéra National de Paris, Elisa Haberer

Si Saariaho a pu s’inspirer de ces pièces c’est grâce à leurs traductions par Ernest Fenollosa et Ezra Pound, auxquels est donc attribué le livret. Ernest FENOLLOSA était un universitaire, orientaliste, philosophe et japonologue américain du XIXème siècle. Il participa à la création de l’Université des Arts et du Musée impérial de Tokyo dont il a été directeur. Il réalisa le premier inventaire des trésors nationaux du Japon et traduisit de nombreuses œuvres. Cependant il faudra attendre 1916 et le poète américain Ezra POUND pour que ces traductions soient publiées après que Pound les eut modifiées pour leur rendre un certain lyrisme. Pour Fenollosa comme pour Pound la traduction est une forme de re-création qui permet à l’œuvre de se transmettre et de rester vivante, et le metteur en scène Peter SELLARS s’inscrit dans la continuité de cette pensée.

Les deux mises en scène de SELLARS sont tout à fait minimalistes et épurées. Lors des deux tableaux, un immense écran sépare deux espaces. Une œuvre abstraite de la plasticienne Julie Mehretu, composée de nuances de gris, comme rupestre et griffée, assure cette séparation. L’espace scénique est très vide : un pavé noir, comme un monolithe est posé sur le sol noir, comme seul accessoire. Deux petits mais puissants projecteurs sont posés de part et d’autre de la toile, à l’avant de la scène pour l’un, caché derrière l’écran pour l’autre. Le travail sur la lumière est impressionnant. Lors de la première scène, l’ombre formée par le prêtre, joué par le chanteur baryton-basse Davóne TINES sur le devant de la scène, permet à l’ombre de l’esprit, jouant derrière la toile, d’apparaître. On voit donc apparaître sur la peinture l’ombre du prêtre qui joue devant le public, et, contenue dans cette ombre, on aperçoit la silhouette de l’esprit, joué et chanté par le contre-ténor Philippe JAROUSSKY se situant derrière l’écran, si bien que lorsque les deux personnages se rapprochent l’un de l’autre, les ombres se confondent, disparaissent, ne semblant n’en former qu’une, comme si c’était le prêtre lui-même qui imaginait à l’intérieur de lui les combats et les scènes décrites par l’esprit de Tsunemasa, le courtisan de l’empereur. Toutes les ombres changeaient vite à l’écran, le duo semblait pouvoir se transformer en quatuor.

Au niveau de la musique cette impression se faisait également sentir. Une utilisation subtile du timbre et de l’harmonie permet à Saariaho de nous faire entendre des sons spectraux, célestes. Lorsque l’esprit s’exprime pour la première fois, la salle est plongée dans un sentiment particulier, indescriptible, et à raison, puisque nous ne comprenons pas que sa voix est en fait l’addition des quatre chanteurs du chœur, chantant la même note à un timbre presque équivalent, jusqu’à ce que le spectre finisse sa phrase. A ce moment-là, la musique spectrale prend tout son sens : chaque voix termine de manière différente et clairement distincte, quand on n’entendait véritablement qu’une voix. Chaque voix descend ou monte des chromatismes bien éloignés de la gamme tempérée de Bach, plutôt des montées ou descentes continues, si bien que les harmoniques résonnent par moments brefs, lorsque les notes se croisent. Ce soudain changement entre une unité de timbre et une envolée harmonique surprend les spectateurs et provoque de véritables sensations. De plus, au moment où le chœur reprend différemment, il est souvent amplifié, de manière à ce que le public soit totalement enveloppé de son mystique, comme si le personnage qui parle n’était pas réel, pas figé dans un espace, mais bien dans une multitude d’espaces, comme le serait un fantôme.

Cette utilisation de la musique au service, ou plutôt en adéquation avec ce que l’on voit et ce qui est dit est magistrale, de la part de la compositrice et du metteur en scène. Le spectre, interprété par le contre-ténor JAROUSSKY prend tout son sens. A l’écoute de cette œuvre on découvre de nouvelles textures sonores, si étonnantes que l’on se demande parfois comment un ensemble de seulement sept instruments peut procurer de telles nappes sonores. On pourra également noter que l’ensemble des instruments et des chanteurs du chœur positionnés dans la fosse faisait à part entière partie de la mise en scène : tous les musiciens en costume, et les chanteurs étaient éclairés comme des acteurs parfois, et avaient même des mouvements synchronisés chorégraphiques à effectuer.

Dans le deuxième tableau, la toile centrale se lève lentement pour s’abaisser plus loin sur le plateau, comme si l’on s’éloignait petit à petit du monde terrestre, symbolisé par ce qui était le devant de la scène, devant cet écran peint. En s’éloignant de ce monde terrestre, la scène prend alors lieu sur une « route de nuage », un Elysée simplement représenté par une couleur violette qui imprègne toute la scène. Ce moment est d’une beauté magistrale avec une mise en scène d’une simplicité effrayante : un sol noir brut, sur lequel est projetée une couleur violette foncée intense. A deux endroits, deux petits projecteurs éclairent l’ange, symbolisé par le chanteur contre-ténor et une danseuse, habillés en blanc, devant ces projecteurs, contrastant alors intensément avec les couleurs sombres générales de l’opéra. Cette simple vision est une leçon de beauté et de mise en scène.

Une ultime note, prolongée, baissée, transformée, résonne à travers tout l’opéra pour conclure une pièce qui restera comme une œuvre majeure d’une vie, et une expérience inoubliable.

photo Opéra National de Paris - Elisa HABERER


Par J. LAFRASSE, élève de TS2

Surprenant ! Only the sound remains, le dernier opéra réalisé par l’artiste finlandaise Kaija SAARIAHO à l’Opéra de Paris, intrigue autant qu’il fascine. Inspirée de deux pièces du théâtre japonais Nô traduites par le poète américain Ezra POUND, Kaija Saariaho reprend des thèmes propres au théâtre japonais : la mort et les esprits. Dans une première partie intitulée Tsunemasa, « Always strong », un prêtre, seul sur scène, voit apparaître l’esprit de Tsunemasa, un ancien courtisan de l’empereur, et s’entretient avec lui. La deuxième partie, Hagoromo, « Feather Mantle », relate la rencontre entre un pêcheur et une sylphe, créature surnaturelle qui va danser pour ce pêcheur avant de disparaître dans les brumes du Mont Fuji.

Sur scène, tout un univers surnaturel se déploie sous les yeux du spectateur. Davóne TINES, le prêtre et le pêcheur dans l’opéra, se déplace sous un projecteur lumineux au milieu de la scène, créant ainsi de grandes ombres animées. De plus, Philippe JAROUSSKY, l’esprit de Tsunemasa, est tantôt visible sur scène tantôt caché derrière une grande toile parsemée de peinture noire. De ce fait, sa voix semble parfois venir d’ailleurs, d’un autre monde _ celui de la mort ?_ accentuant ainsi la surréalité de la scène. De plus, l’orchestre, composé d’un quatuor vocal, « Theater of Voices », d’une flûte, de percussions, de cordes et d’un instrument finlandais, le kantele, produit des sons, parfois dissonants, qui résonnent dans notre tête. La voix de contre-ténor de JAROUSSKY, très aiguë, s’alliant à la voix grave de TINES crée un ensemble très original, qui étonne tout au long de l’opéra par son contraste et sa singularité. Les deux voix , se mêlant au quatuor vocal ainsi qu’aux sonorités sourdes et discordantes de l’orchestre créent une atmosphère hors du temps, où l’on se sent à la fois happé par la voix de l’esprit et repoussé par ces esprits que l’on ne connaît pas, et qui peuvent faire peur. Cette première partie, bien que très sombre, fascine alors par son surnaturel, mais aussi par ces nouvelles sonorités étonnantes.

La deuxième partie, bien qu’esthétiquement plus colorée, est plus fade, moins surprenante. La danseuse Nora kimball amène de la nouveauté _ de la fraîcheur_ à l’opéra, qui pouvait sembler un peu long à la fin de la deuxième partie. En effet, dans sa robe blanche incarnant la sylphe irréelle, les mouvements de la danseuse illuminent la scène, jusqu’alors très noire. Les jeux de lumières colorées, qui accompagnent les danses créent de magnifiques tableaux, et prennent alors un peu le dessus sur l’opéra lui-même, tant les voix que l’orchestre. Peter SELLARS, le metteur en scène, a ainsi créé un deuxième tableau beaucoup plus coloré, nous faisant sortir de l’univers fascinant et surnaturel de la première partie, sans réellement permettre au spectateur d’accéder au monde surnaturel des esprits.

« Only the sound remains » de SAARIAHO, Opéra National de Paris, Elisa Haberer

Kaija Saariaho signe néanmoins un opéra hors du commun, permettant de découvrir le théâtre Nô japonais sous un nouvel angle. On ressort la tête étrangement retournée …